Un mois chez Elisabetta Foradori
Depuis le temps que je voulais faire un tour au Domaine Foradori, j'ai été servi. Un mois complet durant les vendanges pour faire connaissance avec cette famille de vignerons depuis plusieurs générations dans le Trentino en Italie...
J’avais rencontré Elisabetta par le biais de son fils, Emilio, il y a un peu plus d’un an et demi lors de la dégustation de Renaissance des Appellations à Angers. Les vins étaient superbes, la femme également, d’elle se dégageait une impression de grande sérénité... J’avais imaginé faire un tour par les Dolomites Italiennes pour le vin, pour les montagnes... L’occasion s’est présentée cette année et j’ai sauté sur l’occasion pour passer un mois entier au Domaine Foradori au moment des vendanges et des vinifications dans le but de tourner une suite de La Clef des Terroirs.
Pour comprendre l’histoire du vignoble de Trentino, il faut remonter au début du XXème siècle, avant la Première Guerre mondiale. À l’époque, la région était Autrichienne et tout le vin produit était consommé à Vienne. Les vignerons étaient riches, mais de cet héritage, il ne reste que de très belles caves entièrement vides et une certaine culture de la vigne. Après la Première Guerre mondiale, la région a été annexée à l’Italie, il est devenu très difficile de vendre le vin en Autriche à cause de taxes très élevées, seules deux caves à Mezzolombardo ont résisté, car elles produisaient d’autres choses que du vin. C’est en 1920 que le grand-père d’Elisabetta a acheté le Domaine alors qu’il était en faillite, il est depuis dans les mains de la famille Foradori.
Elisabetta a perdu son père alors qu’elle n’avait que 12 ans, sa mère ne connaissait pas grand-chose au vin et elle a confié à quelqu’un du village la gestion du Domaine. Carlo est ainsi arrivé, il est aujourd’hui en retraite mais il est toujours en train de faire quelque chose au Domaine... Lorsque ce n’est pas dans le jardin, il s’occupe de préparer les fêtes ou encore de conduire les camions chargés de vendanges.
Elisabetta a décidé assez jeune de reprendre le Domaine familial, après des études de viticulture-oenologie dans le village voisin, elle a succédé à son père à l’âge de 19 ans avec toute la liberté d’entreprendre et une grande envie de réussir quelque chose sans vraiment savoir si le jeu en valait la chandelle.
En 1984, au moment où Elisabetta a commencé cette grande aventure, les caves coopératives étaient les reines (elles le sont toujours). À l’époque, la mode était à la plantation de cépages internationaux comme le merlot ou le cabernet sauvignon. Elisabetta s’est posé beaucoup de questions avant d’aller voir une conférence du Professeur Rainer Zierock, elle lui a demandé un peu d’aide et il est vite arrivé dans la cour du Domaine à Mezzolombardo. Il lui conseilla de ne pas replanter de cépages internationaux et de conserver le Teroldego, le Nosiola et le Manzoni Bianco, les cépages locaux. La relation professionnelle entre la jeune vigneronne et le professeur s’est vite transformée en une relation amoureuse, ce qui a donné naissance à trois enfants, Emilio, Théo et Myrtha avant de se finir quelques années plus tard dans une longue déchirure.
Alors que les Pergolas sont arrivées il y a plus de 200 ans dans cette profonde vallée alpine par nécessité de faire paitre les animaux sous les vignes et pour faire pousser quelques légumes et céréales, le professeur Zierock conseilla également de tout replanter en haute densité. Une partie du vignoble fut replanté en guyot, aujourd’hui seules quelques parcelles sont encore cultivées en Pergolas. Une plus grosse densité de plantation a permis de mieux maitriser les rendements et de mieux aérer le feuillage.
Elisabetta fut énormément influencé par son mari Rainer Zierock, il était proche des idées de Goethe mais qui ne concevait pas les idées de Steiner. Il était un très bon ami de Didier Dagueneau bien avant qu’il ne commence à faire du vin. Malgré tout il n’avait pas de grande notion de gestion et c’est là que la droiture d’Elisabetta est entrée en jeux. Passer des idées au concret n’a pas été une mince affaire, autant dire qu’elle a énormément cherché pour enfin trouver ce qui lui correspondait. Après avoir adopté un style très international avec des vignes soignées, sans engrais de synthèse et des vins concentrés ayant vieilli dans des fûts de chêne français. C’est seulement en 2002, avec les conseils d’un de ses proches amis, Marc Kreydeinweiss, et d’un consultant, Jacques Mell, qu’elle a passé ses premières préparations biodynamiques sur son Domaine. Elle s’est vite rapprochée du groupe biodynamique du Haut-Adige pour élaborer ses propres préparations et faire elle même son compost afin de redynamiser la vie des sols.
Puis grâce à un autre de ses amis, Giusto Occhipinti, elle a découvert les Tinajas (amphores espagnoles). Ça a été un gros déclic, tout le travail entrepris dans les vignes pouvait être respecté au cuvage. Et c’est ainsi qu’elle s’est mise à remplacer tous les fûts par des amphores, aujourd’hui la cave n’en compte pas moins de 150. L’argile, la matière première des amphores, donne un message très pur au vin qui est complètement différent du bois ou du béton. Il faut imaginer cette argile comme la terre mère mélangée à l’eau pour pouvoir la travailler et lui donner ces magnifiques formes rondes, l’air permet le séchage de l’argile avant que le feu ne fasse son apparition pour la cuisson des amphores.
Pour Elisabetta, les vignerons ont une grosse influence sur le terroir, chaque vigneron apporte son style et elle trouve que la biodynamie permet de mettre une grosse énergie dans la bouteille tout en demandant de la créativité, car chaque millésime se succède, mais ne se ressemble pas, lorsque dans les vignes les traitements sont limités aux maximums et seulement avec des produits bios et qu’en cave le but est de faire des vinifications au plus proche du naturel.
Le Domaine s’est d’abord fait connaitre grâce à sa grande cuvée, le Granato. Puis il y a eu des essais de mise en bouteilles de terroirs particuliers, mais il était à l’époque trop tôt pour les consommateurs comprennent rapidement l’identité des vins au travers du cépage unique : le Teroldego et les différentes cuvées. Aujourd’hui le Domaine s’est remis à faire des mises en bouteilles de parcelles comme Morei ou Sgarzon.
Entre temps Elisabetta s’est associé à deux amis pour créer le Domaine Ampelaia en Toscane, elle gère une grosse partie du projet depuis plus de 12 ans et multiplie les voyages. Ampelaia est complètement indépendant du Domaine Foradori mais il demande quand même beaucoup d’énergie à Elisabetta.
Puis il y a eu l’opportunité en 2007 de reprendre un vignoble juste au-dessus de Trento qui n’était pas en super état. Fontanasanta est né, il a fallu arracher le Chardonnay, le Pinot Blanc... Pour replanter du Nosiola, du Manzani Bianco et du Teroldego, bien plus adaptés au climat. Aujourd’hui les 8 hectares de vignes sont en production et sont gérés par Loris. Les vinifications se font au Domaine à Mezzolombardo à 20 kilomètres plus au Nord.
Fontanasanta a été également l’occasion d’avoir quelques vaches qui broutent l’herbe des vignes tout au long de l’hiver et produisent du fumier d’excellente qualité pour élaborer le compost sur place. Sans compter sur les poules présentes sur tous les Domaines et qui produisent des oeufs pour quelques familles. Le but de la réappropriation des animaux sur les fermes permet d’amener une certaine énergie sur les lieux qui a disparu au fil des années avec la monoculture.
Aujourd’hui Emilio, le premier fils d’Elisabetta est revenu travailler au Domaine après avoir beaucoup voyagé, il s’occupe pour le moment de la cave mais aussi un peu du vignoble en collaboration avec Alessandro, le chef de culture.
Théo, le deuxième a fait des études de photos-journalisme, il travaille aux États-Unis mais il vient chaque année aider au moment des vendanges. Cette année, il a cuisiné pour toute l’équipe et il a fait une jolie série de portraits des employés et de la famille.
Quant à Myrtha et le plus jeune frère, ils sont pour le moment encore en étude, la passation est en train de se faire entre Elisabetta et Emilio en collaboration avec toute l'équipe du Domaine Foradori... Affaire à suivre!
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